En voilà donc un lien improbable entre « le meilleur architecte naval de tous les temps », comme certains n’ont pas hésité à l’appeler, et « l’Océan des Alpes », notre cher Léman…
Encore faudrait-il que ce lien existe: A ma connaissance, il n’y a pas de belle coque dessinée par le « Sorcier de Bristol » sur notre Lac, à part un 30′ New York Yacht Club venu il y a cinq ou six ans parfaire une restauration bâclée chez le très bon chantier Aebi à Gland à côté de Nyon.
Ce bateau, que j’ai eu la chance de visiter à l’époque des travaux en Suisse, est aujourd’hui dans un port du Sud de la France qui doit mieux convenir à son standing…
Que dire d’Herreshoff qui n’ait pas déjà été évoqué dans les livres, ou dans un récent article fort bien documenté de la revue « Voiles et Voiliers » qui nous a fait un petit retour aux sources du Yachting (avec un « Y » majuscule!):
- Membre fondateur du Boston Yacht Club en 1866 à 18 ans
- Diplômé du prestigieux MIT en 1870
- Inventeur du premier catamaran de sport « Amaryllis » en 1876, Amaryllis, que les autorités du nautisme de l’époque se dépêcheront… d’interdire!
Herreshoff, inventeur de la plaisance et du nautisme moderne dans la remarquable année 1891 qui verra trois coups de génie:
- « Alpha », le premier dériveur moderne dont la stabilité est liée au rappel de l’équipage: Le grand Charlie Barr (157 cm), multiple vainqueur de la Coupe de l’America, en fera l’expérience « humide » et désagréable un jour où, en bon marin de son temps, il avait mis le foc à contre pour déborder du quai… Les anales disent qu’il n’a pas apprécié!
- « Dilemna », premier « fin keel » au lest assuré par un bulbe de plomb relié à la coque par un aileron de fonte…
- « Gloriana », premier racer moderne, qui dans sa structure et dans ses lignes préfigurait 50 ans de voiliers de régate!
Télécharger le document sur Gloriana.
Herreshoff, dont cinq bateaux ont remporté six fois la Coupe de l’America :
C’est dans ces bateaux que le « Sorcier de Bristol » a mis tout son génie. C’est ici qu’est le lien entre Herreshoff et le Léman: Lequel? Patience…
Petit retour sur « Reliance »: « Le plus fabuleux racer de tous les temps » (Là c’est moi qui le dit!) a été dessiné et construit par Herreshoff pour prouver les inepties de la jauge qui régissait alors la Coupe de l’America.
Et la preuve est de taille: 189 Tonnes, 61.26 mètres de long pour seulement 27.43 de flottaison (imposée par la jauge et mesurée en bassin à vide et sans gréement!), 7.92 mètres de large au maître bau et un tirant d’eau de 6.10 mètres, 64 hommes d’équipage dont le fameux Charlie Barr…
Mais le plus fantastique, c’est le « moteur »: Une bôme de 37.80 mètres ballastée pour pouvoir étarquer la Grand Voile, 1501 m² de toile – on n’a jamais fait mieux depuis – sur un seul mat de 60.66 mètres en aluminium (Tiens, tiens…)
Bordé en aluminium (toujours) pour les œuvres mortes et en bronze pour les œuvres vives: Une vraie pile électrique dans l’eau salée! A ceux qui critiquaient ce choix, Herreshoff répondra: « Je préfère un bateau qui fond, plutôt qu’un bateau qui perd! »
Reliance sera ferraillé en 1913… Mais la jauge avait été changée selon la volonté du Sorcier de Bristol!
Que dire sur l’homme, qui n’ait pas déjà été écrit ici: http://en.wikipedia.org/wiki/Nathanael_Greene_Herreshoff
Sinon qu’il était un visionnaire qui a su tirer partie de toutes les évolutions technologiques de son temps.
Un visionnaire qui sculptait les demi-coques de ses bateaux avant d’en relever les plans: « Éduquer l’œil avant d’éduquer la main… »
Une fois n’est pas coutume, j’insisterai sur le goût de la performance, parfois poussé jusqu’à l’extrême, de l’homme qui…
- n’hésita pas à bloquer la soupape de sécurité de la chaudière d’un torpilleur à vapeur – l’US Navy était le premier client du chantier naval Herreshoff – pour atteindre la vitesse maximale, provoquant l’explosion d’un élément qui tua un homme d’équipage en 1888…
- participait lui-même à la mise au point de ses bateaux, comme le fera plus tard Olin Stephens, le seul architecte naval a avoir égalé le nombre de ses victoires dans la Coupe de l’America… Le secret de la victoire: Une bonne préparation!
- cultivait le culte du secret et la peur de l’espionnage jusqu’à la phobie, au point que ses propres enfants avaient interdiction de pénétrer dans son bureau… Le côté sombre du génie?
- apportait le même soin maniaque au dessin et à la réalisation de ses bateaux, du « 12 1/2 » de 6 mètres à l’immense « Reliance »…
- sut s’entourer des meilleurs hommes…
- et des meilleures technologies de son temps…
Et c’est là qu’est le lien entre Herreshoff et le Léman!
Non, il ne plaçait pas son argent en Suisse: Il aurait pu, car dix siècles de stabilité et de neutralité, c’est bon pour le commerce et la banque…
Nos amis Helvètes ont simplement eu la chance de se retrouver à la pointe de la technologie à la fin du XIXème siècle – et pas seulement dans la fabrication des coucous – avec l’arrivée de la fée électricité produite par les centrales hydro-électriques des Alpes en quantité suffisante pour transformer la bauxite en aluminium. Il faut se rappeler qu’à la cour de Napoléon III, les couverts en aluminium était considérés comme le summum du luxe en 1860!
Les premiers plans de bateaux construits dans le métal magique sont « classiques » (ringards?), et l’ignorance des réactions électrochimiques cuivre/aluminium les rend fragiles à la corrosion. Ces voiliers n’auront de résultat probant ni en France, ni en Suisse…
Le génie d’Herreshoff est d’avoir su conjuguer les propriétés révolutionnaires de l’aluminium avec une vision vraiment novatrice du voilier de régate!
Comment? Grâce à son frère aîné, patron de la Herreshoff Manufacturing Company, qui vint à Genève plusieurs mois à la fin du XIXème siècle pour voir les premiers fabricants d’aluminium…
Le lien entre le « Sorcier de Bristol » et le Léman est John Brown Herreshoff, surnommé « The blind Genius » car aveugle depuis l’age de 14 ans, ce qui ne l’empêcha pas de diriger de main de maître les affaires de la famille, de la création de l’entreprise en1878 jusqu’à sa mort en 1915, pour permettre à son frère cadet d’exprimer tout son génie.
Nathanael se retirera des affaires peu de temps après la mort de son frère et la Herreshoff Mfg. Co. survivra dans d’autres mains jusqu’en 1946…
Restent des bateaux de rêve…
… même s’ils sont de « petite » dimension comme les fameux « S boats » ou « 12 1/2 », magnifiquement construits, donc plaisants à restaurer… et à naviguer.
On ne risque d’oublier ni le « Sorcier de Bristol », ni son frère la « Génie Aveugle »!
Sources: Herreshoff Marine Museum http://www.herreshoff.org/hmm/index.html
Wikipédia http://en.wikipedia.org/wiki/Nathanael_Greene_Herreshoff
« Mariette » de Jacques Taglang
« Les chasseurs de futur » et « Histoire du yachting » de Daniel Charles
JF Traini